Le Bureau d’analyses macro-économiques (Bame) a rassemblé des spécialistes de toute la chaîne de développement potentiel d’une filière blé au Sénégal. L’homologation de nouvelles variétés de la deuxième céréale la plus consommée du pays par l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra) a été présentée parmi les politiques publiques de développement.
Présidant la conférence économique de Dakar, le weekend dernier, le président de la République, Macky Sall, a appelé les Africains et les Sénégalais à consommer local, de sorte à pouvoir se départir de la dépendance envers l’Occident. S’il entendait par là, en partie, un changement des habitudes alimentaires des Sénégalais attachés à leur baguette de pain matinale, une option lui a été offerte par l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra). Au lieu d’arrêter d’utiliser le blé, très cher et bientôt très rare sur le marché international, les chercheurs ambitionnent de le produire au Sénégal. Des discussions allant dans ce sens ont été tenues hier, dans le cadre de la 24e édition des ‘’Mardis du Bame’’ (Bureau d’analyses macro-économiques) qui a porté sur le thème ‘’Produire du blé au Sénégal : mythe ou réalité’’.
Spécialisé dans les recherches en sciences sociales, en appui aux politiques de développement agricole, agroalimentaire et rural, le Bame, un organisme de l’Isra, tient ces conférences depuis 2006 afin de faciliter la prise de décision en ce qui concerne les politiques publiques. La hausse des cours mondiaux du blé et la dépendance du Sénégal au blé importé, au-delà même de la tension en Ukraine, interpellent la recherche agricole, les décideurs politiques et une bonne partie des acteurs économiques sur la nécessité de promouvoir des systèmes alimentaires suffisamment résilients, garantissant une souveraineté alimentaire, tout en s’appuyant principalement sur des ressources.
L’Isra, ayant anticipé sur cette problématique depuis plusieurs années, a conduit des recherches sur le blé et a homologué huit nouvelles variétés de blé scindées en deux catégories. L’une tendre, riche en gluten et en protéine pour la fabrication du pain, et l’autre, dur, apte pour la production, notamment de pâtes alimentaires. Ce ‘’Mardi du Bame’’ a servi de vitrine à plusieurs acteurs, au niveau de la recherche, du développement et du secteur privé pour présenter les options de développement d’une industrie du blé au Sénégal.
160 milliards F CFA d’importation de blé par an
La production mondiale s’établit à 777 millions de tonnes en 2021, soit près de 28 % de la production totale de céréales, bien devant le riz (FAO, 2022). Le Sénégal dépend entièrement des importations pour satisfaire ses besoins en consommation de blé estimés à 180 000 t par an pour une valeur de 160 milliards F CFA. Les principaux fournisseurs de blé du Sénégal sont la Russie (51 % des importations sénégalaises), la France (32 %), l’Ukraine (6 %), le Canada (4 %) et l’Argentine (3 %).
Pour donner des pistes sur la manière d’inverser cette tendance, l’Isra a repris certaines activités sur le blé et des résultats prometteurs ont été obtenus. Comme l’explique son directeur général Momar Talla Seck, ‘’les variétés homologuées peuvent produire jusqu’à 6 t en station et 3,5 en milieu paysan’’. Mais leur développement nécessitera un accompagnement de l’État pour encore de meilleurs résultats.
D’ailleurs, renseigne le Dr Madiama Cissé, ‘’des études menées depuis les années 1970-80 renseignaient déjà sur la possibilité de développer cette culture dans la vallée du fleuve Sénégal. Des essais sur différentes variétés sont développés depuis les années 2000 par l’Isra dans le delta et la vallée du fleuve Sénégal’’. Selon l’agronome-chercheur à l’Isra, la culture du blé est possible en saison sèche, là où les conditions de sol et d’eau sont disponibles.
Ceci est loin d’être un problème dans la vallée du fleuve Sénégal. Et cela a été bien exposé par le Dr Amadou Diao. Le directeur général adjoint de Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta et de la vallée du fleuve Sénégal (Saed) a porté son intervention sur les dispositions pour un espace de production du blé dans la vallée du fleuve Sénégal. Pour dire que dans cette région naturelle, ‘’240 000 ha irrigables sont disponibles, avec des ressources en eau et du personnel agricole doté d’une grande expérience en culture irriguée. Cent vingt-trois mille hectares sont déjà aménagés dont près de 51 000 ha destinés à la riziculture et 72 000 ha restants sont aptes à d’autres formes de culture. Donc, l’espace est disponible sur des sols favorables à la culture du blé’’.
Vallée du fleuve Sénégal : ‘’240 000 ha irrigables sont disponibles, avec des ressources en eau et du personnel agricole doté d’une grande expérience en culture irriguée’’
Un développement d’une filière blé rentrerait parfaitement dans les stratégies déjà développées dans le cadre du Programme national d’autosuffisance alimentaire (PNAR), volet pratique du Pracas. Revenant sur l’expérience sénégalaise d’essai de culture du blé, le Dr Amadou Diao apprend que cette céréale a été menée en vraie grandeur dans les périmètres de la Saed à Guédé, à Dagana et dans d’autres localités. Seulement, ajoute-t-il, cela a été abandonné par manque de volonté politique.
En effet, ‘’face aux difficultés du calage du calendrier cultural (riz-blé) et à la concurrence avec le blé importé, les efforts de recherche et de production ont été abandonnés’’.
Au Sénégal, on connaît déjà un pain composé à 30 % de mil et 70 % de blé. Le Pamiblé, créé par l’Institut de technologie alimentaire (ITA) en 1978. Mais l’opération a tourné court : le décret ministériel définissant l’adoption de cette formulation boulangère n’a pas été appliqué par les professionnels. Les critiques (mauvais goût, cher, non croustillant) s’abattent sur le pain Pamiblé.
Directeur des relations extérieures de l’ITA, Fallou Sarr note tout de même que depuis 2016, des innovations dans la recherche et des discussions avec les acteurs du secteur ont permis la mise en place d’un pain composé de farine de céréales locales et de farine de blé. Nommé ‘’doolé’’, il serait plus rentable et garderait 2,7 fois plus de fraîcheur que le pain composé de 100 % de farine de blé.
Les variétés créées, les terres et l’eau disponibles, les acteurs prêts à se lancer dans l’aventure, il ne reste plus qu’une matérialisation de la volonté politique de développer une véritable filière de blé au Sénégal.
Représentant du ministre de l’Agriculture et de l’Équipement rural Moussa Baldé, M. Diallo a rappelé que les chantiers de la souveraineté alimentaire sont au cœur du Plan Sénégal émergent (PSE). Enthousiasmé les perspectives étalées par les spécialistes, il n’en demeure pas moins pragmatique, en faisant remarquer la nécessité d’approfondir les études sur les coûts de production : ‘’Si l’importation est moins chère, cela posera un souci économique. Mais le ministère prêtera une oreille attentive aux recommandations qui sortiront des discussions du jour.’’
Source: Businessnewsafrica