La Direction générale des impôts et des domaines (Dgid) a lancé ce 31 mars 2022 à Mbour, la phase pilote de l’opération « Sama Këyitu këur » qui vise à faciliter la régularisation et l’accès au foncier. Le directeur de la Dgid Bassirou Samba Niasse revient ainsi, sur l’importance de cette opération mais aussi, sur le programme Yaatal qui ambitionne d’élargir l’assiette fiscale de manière générale.
Pourquoi le programme Yaatal ?
En arrivant au pouvoir, le président de la République a lancé le Plan Sénégal émergent (Pse) avec un cap qui cible l’émergence en 2035. L’émergence 2035 vise un rattrapage infrastructurel à travers les différents programmes mais à terme, cela vise le bien-être des populations en permettant à chacun d’avoir une source de revenu en tant que salarié ou auto-entreprenant. Cette émergence suppose l’existence d’entreprises, la sécurité juridique et physique dans le foncier, la disponibilité d’investissements mais aussi la mobilisation de ressources domestiques conséquentes.
En arrivant à la tête de la Direction générale des impôts et des domaines (Dgid) en juin 2019, on avait fait le constat que l’assiette fiscale est extrêmement étroite. Mobiliser les ressources fiscales suffisantes pour assurer les investissements publics qui permettront l’émergence étaient extrêmement compliqué. C’était soit on augmente les taux d’impôts (ce qui allait lourdement peser sur les quelques contribuables que nous avions) ou élargir la base (qui a guidé le programme Yaatal).
Mais le constat qu’on avait fait et qui découlait de beaucoup d’études faites par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), c’est que ces contribuables qui existent, à la fois les entreprises comme les personnes physiques, se trouvaient dans une situation très précaire. Selon le prototype qui a été dégagé par l’Ansd, l’entreprise a une durée de vie de 5 ans maximum. Ce qui pose naturellement des problèmes de consolidation d’emplois. Parce que, si une entreprise créée au Sénégal meurt au bout de 5 ans, les emplois créés par cette entreprise-là vont disparaitre aussi au bout de 5 ans avec toutes les conséquences en termes de mobilisation des ressources.
Ce qu’on avait vu, c’est que ces entreprises avaient une durée de vie très courte parce que n’ayant pas forcément accès à un financement adéquat. Parallèlement, nous avions constaté que les entreprises, à 95%, évoluent dans le secteur informel et que notre foncier, à un peu plus de 80% également, était géré de manière informelle, parce que non immatriculé. Du foncier non immatriculé c’est du foncier qui a une valeur nulle parce que ne pouvant pas servir à une utilisation au niveau du système financier pour pouvoir lever des financements.
Si on ne lève pas de financements, il n’y a pas d’investissements, s’il n’y a pas d’investissements, il n’y a pas d’emplois durables. C’est tous ces éléments qui constituent les problématiques du programme Yaatal, lancé pour mettre dans la base toutes les entreprises qui travaillent et toutes les maisons qui existent.
Qu’en est-il des propriétés bâties ?
On avait remarqué également, en partant des études de l’Ansd, qu’au Sénégal il y avait 1 530 000 maisons, propriétés bâties. Dans notre base fiscale au niveau de la Dgid, les propriétés bâties qui contribuaient pour l’impôt foncier ne dépassaient pas 100 mille. Ce qui posait un véritable problème.
Les gens ont construit sur des terrains non immatriculés (valeur du foncier nulle), ce qui réduit fortement le champ d’action des notaires parce que toutes ces transactions qui se font dans un domaine non immatriculé peuvent se faire en marge de l’exercice des notaires. Ce qui réduit un chiffre d’affaires sur ces derniers et par conséquent une taxe sur la valeur ajoutée, des ressources fiscales pour l’administration fiscale.
En lançant le programme on a visé deux choses. D’abord, le recrutement massif de contribuables. Parce que sur la population active qui fait à peu près 6 millions de personnes physiques et morales, les contribuables qui payaient l’impôt directement au Sénégal ne dépassaient pas 8%. Ce qui est extrêmement faible et ne garantit pas une sécurité d’une mobilisation à long terme et, par ailleurs, se traduit par un endettement élevé. Parce que si l’ambition du gouvernement est de continuer à faire une transformation structurelle de l’économie (par les projets développés par le chef de l’Etat), et qu’une mobilisation conséquente des ressources intérieures n’est pas faite, on est obligé de faire appel à de l’endettement pour pouvoir les financer.
C’est pourquoi je dis toujours que le débat qu’on pose sur la dette est, de mon point de vue, un faux débat. Parce que le problème de fond est lié à la mobilisation des ressources intérieures (Yaatal natt Teggi Yokuté). C’est nous-mêmes qui faisons notre propre contribution pour qu’on puisse développer notre pays.
Mais on ne peut pas assurer, structurellement, une mobilisation croissante des ressources si notre foncier est géré de manière informelle. On continue d’habiter, on continue d’exploiter les champs, mais aucun acte juridique. La réalité économique est en déphasage avec l’apparence juridique. C’est-à-dire, la réalité économique ou sociologique est que nous sommes propriétaire de notre champ mais l’apparence juridique est qu’on n’a aucun titre.
Ce qui fait qu’un agriculteur peut rester éternellement paysan parce que la terre qui crée la première ressource dont il dispose n’a pas de valeur juridique qui lui permette d’aller lever des financements et d’accroitre son potentiel et par conséquent de consolider l’emploi. Voilà les problématiques du programme Yaatal.
On a dit donc, on fait du Yaatal foncier un levier pour faire du Yaatal fiscal. Rentrez dans notre base, on vous donne les moyens de développer votre activité ! Si on vous immatricule , vous êtes inscrit dans le fichier de la Dgid. Nous avons la chance, contrairement à d’autres pays, d’avoir à la fois, le fiscal, le cadastre et les domaines. Donc, nous avons la possibilité de vous faciliter l’accès à ce foncier, de vous sécuriser votre foncier d’un point de vue juridique. Ce qui vous donne des possibilités de développer davantage votre activité.
Aujourd’hui si vous avez remarqué, la Dgid a lancé le programme de recensement national des propriétés imposables. Nous avons démarré par Dakar et à terme, nous recruterons 1000 jeunes. Aujourd’hui, il y a un peu plus de 200 jeunes qui sont en train de sillonner les maisons à Dakar pour recenser l’ensemble des propriétés.
Cela nous permet de contribuer de manière indirecte à la création d’emplois au niveau des jeunes mais, de consolider les acquis pour permettre aux collectivités de disposer des impôts fonciers et de savoir aussi quel est l’étendu des propriétés qui n’ont pas de titre. Ce qui permet de voir dans quelles mesures procéder à une régularisation. Donc, nous voulons rendre un service aux usagers, les mettre dans la base fiscale, collecter le maximum d’impôts et assurer la sécurité juridique et physique du foncier. C’est cela la vision. C’est cela que nous cherchons à mettre en place.
Aujourd’hui l’Etat promeut, de plus en plus, la dématérialisation des procédures dans l’administration publique. Qu’en est-il au niveau de la Dgid ?
Tout ce que je viens de dire ne peut pas se faire sans la transformation digitale de la Dgid. C’est pourquoi nous avons lancé cette transformation digitale. Aujourd’hui, un peu plus de 90% de nos recettes passe par le e-payment. Ce sont des paiements en ligne qui se font. En ce sens, nous avons déployé la plateforme Mon espace perso pour les Petites et moyennes entreprises (Pme) qui leur permet de faire une déclaration en ligne.
Le programme Yaatal est extrêmement important en ce sens qu’il permet d’enlever les cloisons qui n’existeront plus entre le cadastre, celui qui gère l’assiette, celui qui gère les domaines et celui qui gère la conservation foncière.
La transformation digitale c’est également le système de gestion du foncier que nous sommes en train de mettre en place. Cela permettra aux notaires de s’interconnecter et de pouvoir faire l’ensemble des opérations avec nous en ligne. Et toutes les procédures vont être dématérialisées pour nous permettre d’assurer le maximum de célérité mais aussi de sécurité.
Vous avez lancé un nouveau programme appelé « Sama Këyitu këur ». De quoi s’agit-il ?
L’opération « Sama Këyitu këur » vise des lotissements réguliers qui sont réalisés soit sur les terres du domaine national , soit sur du domaine privé de l’Etat et pour lesquels les attributaires n’ont pas de titre. Et nous, nous avons l’obligation de permettre à ces personnes-là d’accéder à des titres.
Ce qui se passait c’est quoi ? Individuellement chacun se levait demander la régularisation de 200 m² ; 150m² etc. Sur les terrains du domaine national on se retrouvait avec plus de 1000 demandes. Pour chaque demande, il faut faire un décret d’immatriculation. Comment pouvez-vous imaginer qu’on envoie plus de 1000 projets de décrets d’immatriculation au chef de l’Etat ? Ce n’est pas rationnel et cela n’a aucun sens.
L’opération « Sama Këyitu këur », c’est de dire : ces lotissements qui sont identifiés et sur lesquels il y a des populations qui y habitent et qu’il n’y a pas de doute qu’ils sont les propriétaires, avec donc la collaboration des maires, avec l’appui des services techniques de l’urbanisme, avec les préfets ou les autorités territoriales, nous pouvons, si nous travaillons ensemble, permettre à ces populations-là d’accéder au titre de propriété. Cela est à notre portée.
Quel est l’objectif fixé pour cette phase pilote de l’opération « Sama Këyitu këur » ?
Faire 1000 titres en 90 jours (3 mois). C’est cela le défi que je lance au centre de Mbour (Centre des services fiscaux de Mbour– Ndlr). En ce sens, je demande au président de la Commission de contrôle des opérations domaniales (Ccod), le gouverneur de la région de Thiès dans l’approbation par les préfets, le chef du service de l’urbanisme, d’appuyer, également, le programme.
On peut relever ce défi, ici à Mbour en ayant 1000 titres en 90 jours et qu’on délivre aux contribuables et aux usagers. Si l’opération est concluante la deuxième phase se fera en mettant le focus sur Rufisque et Thiès qui connaissent les mêmes problématiques. Et par ricochet, on va élargir le champ de compétence des notaires, assurer plus de sécurité juridique foncière, et même augmenter le taux de bancarisation de notre économie. Et c’est cela la transformation structurelle. C’est cela le Yaatal : la générosité, l’ouverture, de l’adhésion et chacun contribue.
Si chacun contribue, l’autre axe du programme Yaatal est de revoir notre législation fiscale, baisser la contribution individuelle. Peut-être certains impôts vont disparaitre, d’autres vont connaitre des baisses de taux et on aura également élargi la structure qui permettra d’arriver à une meilleure prise en charge des dépenses publiques qui nous assurera l’émergence à l’horizon 2035.
Source: LeJecos